by eric/ avril 1. 2015/ 0 Comments/ Interviews

Gresy

J’ai rencontré la fée Mélusine en Isère le week-end dernier : la preuve en images (et en mots) :

Rencontre avec Eric Boisset, parrain du premier salon Grésimaginaire

Le week-end dernier a eu lieu la première édition du salon Grésimaginaire, consacré aux littératures de l’imaginaire. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître, une vraie réussite, d’ailleurs j’en parle en détail ici.

A cette occasion, j’ai eu la chance de rencontrer le parrain de ce salon, Eric Boisset, l’auteur d’une trilogie dont je vous ai déjà parlé: Le Grimoire d’Arkandias, Arkandias contre-attaque et Le Sarcophage d’outre-temps. Vous aurez très bientôt également mon avis sur Nicostratos et sur L’Etincelle d’Or. Et comme c’est quelqu’un de très sympathique, il a accepté de répondre à mes questions.

Bonjour! Tu as l’habitude de t’ amuser avec tes biographies. Est-ce pour te cacher, pour brouiller les pistes ou juste pour s’amuser ?

Quand j’ai publié mon premier roman, Le Grimoire d’Arkandias, je n’avais pas encore rencontré l’éditeur mais je l’avais eu au téléphone (j’habitais déjà Chambéry). Au retour d’un voyage dans les îles grecques qui devait m’inspirer un autre roman, j’ai proposé à mon éditeur de m’arrêter à Paris avant de rentrer à Chambéry de façon à le rencontrer. En arrivant dans les locaux de la maison d’édition, on me demande des éléments de biographie pour la quatrième de couverture. Sur des ouvrages publiés dans la collection, je vois : « Il s’appelle X, il est né dans la région parisienne, il travaille à la BNP, il s’occupe de jardinage ». Je constate que les vies d’auteurs sont assez consternantes, mais on me dit : « C’est obligatoire, on a un encart prévu dans la maquette, on ne peut pas mettre n’importe quoi ». Cette réflexion m’a ouvert des pistes : pourquoi pas raconter n’importe-quoi, en effet ? J’ai réclamé une feuille et un crayon et j’ai laissé vagabonder mon imagination. Comme je revenais des îles grecques, j’ai dit que j’étais né à Ithaque, que je voulais être pêcheur d’éponge, mais que je paniquais quand je n’avais plus pied, et que donc, j’ai dû me reconvertir dans les danses folkloriques grecques, mais que j’avais développé une allergie au colorant rouge de mon pompon de bonnet, etc etc. Je revenais de vacances, j’étais bronzé, j’avais des drachmes dans ma poche (la monnaie grecque avant l’euro), ça a convaincu. Le pot au rose a été découvert assez vite, mais j’ai écrit de nombreuses autres biographies farfelues qui m’ont valu trois types de courriers :

– Les grands-parents scandalisés : « Nous avons offert Nicostratos et Le Grimoire d’Arkandias à nos petits-enfants, les biographies de l’auteur sont différentes sur chaque livre, comment osez-vous travestir la vie d’Eric Boisset, est-ce un coup publicitaire ? »

– Les parents, qui trouvaient ça amusant.

– Les cris de détresse des enfants : « je prépare un exposé sur le livre, mais l’auteur est né à la fois à Ithaque, à Saint-Pétersbourg, à Kartoum… »

Comment en es-tu venu à l’écriture ? Tu en vis aujourd’hui ?

A l’origine, j’étais bon en français et nul en maths. J’aimais raconter des histoires.
Quand j’ai fait mon service militaire, je me suis retrouvé à la frontière espagnole dans un poste de douane. Pour m’occuper j’ai écrit un scénario de film sur un vieux carnet à souche. J’aimais écrire des dialogues. Suite à une série de rencontres faites à Paris, ce scénario est devenu une série de bande-dessinée. L’éditeur de ces cinq BD m’a dit : «Tes scénarios sont de vrais petits romans : tu devrais en écrire un ! ». Quand j’ai eu l’idée du Grimoire d’Arkandias, j’ai eu envie d’en faire une énième BD, mais j’ai finalement tenté le coup du roman et ça a cartonné.
Comme j’ai un autre métier en parallèle, mes journées sont bien remplies, surtout depuis que le cinéma s’en est mêlé. Mais je survis à grand renfort de produits stupéfiants.

Pourquoi écrire exclusivement pour la jeunesse? C’est quoi, pour toi, la littérature jeunesse ?

J’ai commencé par la littérature jeunesse, avec Arkandias. Les enfants m’ont demandé une suite et j’ai écrit Arkandias contre-attaque, puis Le sarcophage d’outre-temps pour faire une trilogie. Mes jeunes lectrices se sont indignées de l’absence de filles dans Arkandias : j’ai donc écrit la trilogie des Charmettes. Puis on m’a demandé pourquoi les garçons d’un côté et les filles de l’autre, j’ai donc mélangé les genres dans le bouquin suivant…
J’ai pris plaisir à fréquenter ce milieu, d’autant que, pour avoir côtoyé des auteurs « vieillesse » dans les salons , leur sort ne me paraissait pas enviable du tout : beaucoup se prenaient pour Proust ou Duras alors qu’ils en étaient très loin et leurs ventes étaient très loin des ventes de jeunesse. Je n’avais pas envie d’intégrer ce milieu ni d’écrire des choses sérieuses, je reste fidèle à la littérature de jeunesse.

As-tu un chouchou parmi tes romans ?

Quand on écrit, on est toujours tenté de répondre : « celui sur lequel je travaille en ce moment ». On est dans l’illusion, on pense qu’on va enfin réussir un livre après moult tentatives avortées. D’ailleurs, quand je ré-ouvre mes livres (ce qui ne m’arrive quasiment jamais d’ailleurs), je trouve des choses qui me déplaisent et probablement que dans cinq ans, en rouvrant celui que je suis en train d’écrire, je trouverai des choses qui ne me plaisent pas.
Je vais citer Nicostratos, mais uniquement parce qu’il m’a permis de prolonger mes vacances dans les îles grecques.

Comment est né le premier tome d’Arkandias ?

Je suis parti de l’histoire de l’anneau d’invisibilité. Ensuite, j’ai eu l’idée des ingrédients, de la quête d’un ingrédient par chapitre, et très vite, j’ai été débordé par le sujet. Je pensais écrire un roman d’une cinquantaine de pages et au bout de 300, je n’avais pas fini. Les trois éditeurs auxquels j’ai envoyé le manuscrit se sont montrés intéressés. Mais deux d’entre eux ont voulu le modifier, parce qu’ils trouvaient que c’était trop épais et trop compliqué pour le public visé. On était avant la mode des gros volumes lancée par Harry Potter à l’école des sorciers…

La notion d’hyperchimie, c’est une invention personnelle ?

Oui. Je voulais parler d’opération de transmutation, mais ce n’était pas vraiment de l’alchimie, pas de la chimie pure non plus, donc j’ai inventé l’hyperchimie. Comme j’ai inventé la magie rouge : pour distinguer de la noire, la blanche, j’avais le choix entre toutes les couleurs autres et j’ai choisi celle-là.

Arkandias qui donne son nom à la trilogie est loin d’être le personnage principal…

C’est vrai. C’est quand même sur la base de ses travaux que tout se fait. C’est lui qui intervient pour sauver les deux héros quand ils ont un problème. J’ai trouvé le nom d’Arkandias dans l’annuaire des pages jaunes de la Savoie : Roger Arkandias, plombier chauffagiste. Dans l’édition scolaire d’Arkandias, l’Universitaire qui a fait l’appareil pédagogique explique avec beaucoup d’aplomb qu’Arkandias est la contraction de « archange » et de « diable », et montre donc le côté ambigu du personnage… J’ai trouvé cela astucieux, d’autant que pour moi, cela reste un plombier chauffagiste de Savoie.

Les personnages font preuve de beaucoup d’humour et d’esprit, surtout pour des enfants de douze ans. C’est important pour toi, ce côté drôle ?

Effectivement, il y a peut-être un petit décalage. J’aime bien mettre de l’humour dans un cadre qui pourrait être dramatique. Le premier degré, très vite, m’ennuie, même dans la conversation courante. Mais cela peut parfois devenir un défaut. Donc je m’astreins, maintenant, notamment dans le livre que je suis en train d’écrire, à ne pas systématiquement balancer une vanne, pour ne pas déconcentrer le lecteur et décrédibiliser la scène.
Pour Nicostratos, mon deuxième livre, je m’étais déjà astreint à cette purge de presque toute trace d’humour (il y a quand même quelques petites piques rigolotes disséminées ici et là).

Comment s’est passée l’adaptation cinéma d’Arkandias ?

Je n’ai pas été consulté, ils ont écrit et tourné de leur côté, je suis allé une journée sur le tournage, j’ai serré la main de Christian Clavier. L’histoire concoctée par les deux réalisateurs n’a pas grand-chose à voir avec mon roman…
Au départ, c’était Jean-Marie Poiré qui devait l’adapter. Il avait écrit un scénario très proche du livre et m’avait souvent appelé pour me lire les scènes désopilantes qu’il venait de dialoguer. Malheureusement, il a enchaîné deux échecs au cinéma et a été dépossédé du projet à deux mois du tournage. Je le regrette, car son adaptation aurait été beaucoup plus fidèle, et sans doute plus drôle que celle qui a finalement vu le jour.

Nicostratos est donc très inspiré de tes vacances en Grèce ?

Tout à fait. J’étais assis à la terrasse d’un café et arrive un petit Grec, pieds nus, avec les vêtements tout rapiécés et des brins de paille dans les cheveux. Il siffle entre ses doigts, j’entends claquer une paire d’ailes et un pélican se pose à côté de moi. Je n’avais jamais vu un pélican de près, j’ai eu peur, parce qu’il faisait un mètre soixante de haut, c’est un oiseau géant, énorme ! Il était apprivoisé : le garçon est passé sur la terrasse, il a fait tomber les paquets de cigarettes posés sur les tables, et le pélican les a ramassés avec son bec. Les gens ont applaudi, il a fait un signe et l’oiseau s’est envolé. J’ai aussitôt voulu écrire l’histoire d’un garçon et d’un pélican. Je me suis donc renseigné et les gens m’ont dit que ce jeune garçon habitait à l’autre bout de l’île, mais qu’il ne fallait pas y aller car son père était à moitié fou depuis la mort de sa femme. J’ai conçu ensuite l’histoire : qui est cet étrange personnage, comment l’enfant a-t-il eu son oiseau alors qu’il n’a pas d’argent et que les pélicans à l’état naturel ne vivent pas en Grèce…

L’histoire a un côté très sombre et amer. Pourquoi un ton aussi sombre pour une histoire jeunesse ?

Je ne la perçois pas comme vraiment amère. Elle est triste, mais le père finit par y manifester l’amour qu’il a pour son fils. Je voulais finir sur une note positive. Et plus encore dans le film.

Peux-tu nous parler du film ?

J’ai coécrit le scénario avec Olivier Horlait, qui est devenu un ami par la suite. On a procédé à des aménagements, mais moins qu’avec Arkandias. J’ai tourné dans les îles avec l’équipe pendant deux mois. J’ai même un petit rôle, il faut me chercher…

Un de tes rares romans qui ne relève pas du fantastique. Est-ce le seul ?

Il y en a peu, c’est vrai. Il y a Les guetteurs d’Azulis, qui est de la science-fiction dite « parano » : on est sur Terre, les extraterrestres sont parmi nous, ils nous ressemblent, peut-être que vous en êtes une, peut-être que j’en suis un… Un jeune garçon assiste à un crash d’avion et rencontre une jeune extraterrestre qui ressemble en tous points à une terrienne . Comme elle est complètement perdue sur terre, il va l’aider.
L’autre, c’est un recueil de nouvelles, les onze plus grosses bêtises que j’ai faites quand j’étais enfant. Les onze plus racontables, en tout cas.
Depuis deux ans, je travaille sur une trilogie de Fantasy, un genre que je n’avais encore jamais abordé. Le titre générique est « Les pierres de fumée ». Il est possible qu’ensuite, je revienne à un roman plus « classique » (triste, quoi).

Pourquoi avoir accepté d’être le parrain de Grésimaginaire ?

D’abord parce que c’est près de chez moi et qu’entre voisins, il faut se serrer les coudes. Ensuite, parce que j’ai eu Pascale Languille, l’organisatrice, au téléphone, et que je l’ai trouvée très sympathique. Elle a le courage de monter un salon : c’est héroïque en soi ! Quand on écrit, on doit avant tout défendre le Livre.

Qu’est-ce que tu aimes dans la rencontre avec les lecteurs ?

Ça me permet d’avoir un retour sur mon travail d’écrivain. Quand on écrit, on est seul face à soi-même et à son ordinateur. Un lecteur qui prend la plume pour vous faire part de ses impressions, c’est extrêmement rare. Mieux vaut partir à la encontre du lectorat qu’attendre de ses nouvelles devant sa boîte aux lettres, assis sur un pliant.
D’ailleurs, si je n’avais pas rencontré mes lecteurs, je n’aurais sans doute jamais écrit Arkandias contre-attaque, ni le sarcophage d’Outretemps. Ça m’aide aussi à rester en phase avec les générations qui se succèdent : ça fait vingt ans que j’écris, je m’efforce, peut-être en vain, d’échapper à la ringardise absolue… Les enfants évoluent tellement vite ! J’essaye de ne pas trop coller à l’actualité quand j’écris, au niveau de l’argot par exemple. Rien ne se démode plus vite que la mode. Il faut attendre que les mots soient validés par cent ans d’usage minimum.
J’interviens aussi dans les classes. Ici, c’est Pascale Languille qui a fait tout le travail d’interface entre moi et les professeurs. Les enfants qui travaillent sur l’adaptation cinématographique d’une œuvre littéraire peuvent pointer les différences entre mes romans et les films qui en sont tirés, et me sommer de m’expliquer. Sur Nicostratos, je leur projette aussi des photos, je leur explique ce qu’est un chef opérateur, un ingénieur du son… Ils tombent des nues en découvrant qu’un film se fait en trois ans, mais que le tournage ne dure que deux mois.

Quels sont tes auteurs préférés ? Ceux qui t’inspirent ? Ceux que tu nous recommandes ?

Je cite systématiquement Marcel Pagnol, que j’admire toujours énormément : c’est mon génie tutélaire ! Je ne sais pas s’il est considéré à sa juste valeur aujourd’hui. Il écrit simplement mais avec une grande richesse, ce qui échappe à beaucoup de gens. Camus disait : « Quand on écrit simplement on a des lecteurs, quand on écrit obscurément on a des commentateurs ».
J’ai eu ma période Rousseau, Les Confessions : j’ai visité les Charmettes dès que je suis arrivé à Chambéry et recueilli pieusement un peu de terre dans le potager de Jean-Jacques. Egalement, Châteaubriand pour Les mémoires d’outre-tombe, où on vit la révolution française comme si on piétinait dans la file d’attente avant de monter sur l’échafaud ! J’ai une grande passion pour Rimbaud, dont les sonnets et les formules poétiques me tournent dans la tête en permanence. Et puis Colette, Albert Cohen, Hemingway, Giono, Cavanna, Alphonse Boudard, Céline, Flaubert, Casanova… Je lis aussi beaucoup d’ouvrages sur la spiritualité et la médecine. Parmi les contemporains, j’ai eu un coup de cœur pour Millenium et plus récemment Game of Thrones.

Un très grand merci, Eric Boisset, d’avoir répondu à mes questions et d’avoir soutenu Grésimaginaire !