La roulotte de l’hyperchimiste
Lundi dernier, le producteur Yves Marmion (Les films du 24) a eu la gentillesse de m’inviter sur le tournage du film inspiré de mon roman Le grimoire d’Arkandias. A l’aube, un taxi nous a déposés à l’orée d’une forêt profonde située à une trentaine de kilomètres de Bruxelles. C’est là que l’hyperchimiste bohème interprété par Christian Clavier avait installé sa roulotte-laboratoire. De puissants projecteurs illuminaient les taillis brumeux, créant cette atmosphère de surnaturel typique du cinéma où la vie, circonscrite sur un petit périmètre, acquiert un éclat éblouissant. Après avoir été présenté aux trois jeunes acteurs incarnant les rôles principaux : Laura (Pauline), Timothée (Bonaventure) et Ryan (Théophile), j’ai pour la première fois serré la main de celui qui m’accompagne de salons du livre en rencontres scolaires depuis bientôt quinze ans : Agénor Arkandias en personne, déjà revêtu des cuirs bouillis et des lainages du rôle, cheveux longs et gris séparés par une raie médiane, œil vif filant sans cesse vers la « queue de l’œil », comme on dit en Italie. La concentration de Christian Clavier était perceptible. Il avait à jouer un « très gros morceau ». Yves Marmion m’a conduit sous une tente où je me suis installé au combo, l’écran de contrôle relié à la caméra au moment du tournage. Casque sur les oreilles, j’ai assisté à un passionnant exercice de comédie. Clavier et les enfants ont joué huit fois un long plan séquence, avec des nuances différentes à chaque prise. Je ne suis pas certain d’avoir pensé à refermer la bouche tandis que le quatuor s’animait sur l’écran. Installé sous une tente voisine, les réalisateurs Alexandre Castagnetti et Julien Simonet scrutaient chaque détail, et intervenaient entre les prises pour donner des indications aux acteurs. Au moment de la pause, je suis entré dans la roulotte par effraction. Construit par une équipe de décorateurs belges particulièrement inventifs, le laboratoire d’Arkandias tient tout à la fois de la tente de bédouin, de l’observatoire astronomique et de la boutique d’apothicaire. Fioles aux étiquettes bigarrées, bouquets de plantes mis à sécher sur des cordelettes, énorme télescope de cuivre braqué sur la nue à travers un fenestron de toile, bibliothèque chargée de grimoires poudreux, cornues serpentiforme, athanor où une substance nauséabonde mijotait dans un ballon de verre clos. C’est en reniflant une pipette où gargouillait un extrait de « psilocybe tapaucerveletus » que j’ai eu cette brusque expansion psychédélique dans le Grand Tout. Je me suis réveillé dans le Thalys du retour, non loin de la gare du Nord. Le contrôleur m’a fait observer que j’avais bavé sur la banquette durant mon sommeil. Il a malgré tout poinçonné mon billet.