by eric/ mars 2. 2016/ 0 Comments/ Interviews

Halliennales 2015

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David Boidin m’a injecté du penthotal et voici le résultat (prudence si vous lui serrez la main, son alliance est munie d’une aiguille escamotable) :
http://www.parolesdauteurs.com/interview-eric-boisset/

« Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

Fantômette contre la Main jaune. J’en garde un souvenir ébloui. J’aurais pu vous répondre Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski, mais j’aurais menti.

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Moi qui suis lent et besogneux, si en plus d’écrire, je consacrais du temps à la lecture, je crois que je ne m’en sortirais pas. Plus sérieusement, on ne peut évidemment partir de zéro. Le hasard place sur notre route de lecteur quelques auteurs qui nous dotent d’outils, ou disons d’un savoir-faire. Ensuite, c’est à notre imaginaire de prendre le relai (ou pas). « Dieu préserve ceux qu’il chérit des lectures inutiles » (Baudelaire).

Vous écrivez essentiellement pour la jeunesse. Pourquoi ce choix ?

L’idée de mon tout premier roman, Le grimoire d’Arkandias, m’est venue après que je sois tombé sur deux lignes de Stendhal évoquant un anneau magique d’invisibilité. J’ai été séduit par le côté pratique d’un tel objet. À l’époque, je n’avais pas encore lu Tolkien, et ce concept d’anneau magique d’invisibilité me semblait puissamment original…

Comme je n’avais encore jamais écrit de roman, j’ai prudemment développé cet embryon d’idée, en procédant par déductions successives et par tâtonnements. J’ai ensuite relu mon plan d’une traite, et j’ai réalisé que de toute évidence, il s’agissait d’un roman pour enfants. Le plaisir de jouer librement avec les mots et les idées m’a conduit à écrire une suite à ce premier tome, puis une suite à cette suite. J’ai alors découvert que je prenais plaisir à écrire pour la jeunesse…

Pensez-vous qu’un auteur soit un magicien ?

Je ne crois pas qu’écrire des livres soit autre chose que de l’artisanat. La transe sacrée, les fulgurances, l’inspiration : c’est de la blague. Même Rimbaud, que je place au-dessus de toute littérature, multipliait les brouillons. On assemble patiemment son meuble en rectifiant les alignements, on le sculpte, on le chantourne, on le polit et on le cire, ou bien on lui laisse un côté un peu brut, question de goût. Ensuite, on le vend et on passe au meuble suivant. La célèbre formule d’Edison à propos du génie s’applique à l’écriture : « : 10% d’inspiration et 90% de transpiration. »

Vous avez eu la chance de voir certains de vos romans portés sur grand l’écran. Comment vit-on cette « dépossession » ?

Pour être dépossédé de quelque chose, il faut en être le propriétaire. Or, mes romans étaient déjà entre les mains des lecteurs quand le cinéma s’en est emparé. Chaque lecteur réalise son propre film à partir du roman qu’il lit. Il en construit les décors, se représente les personnages. Les cinéastes qui ont adapté Nicostratos et Le Grimoire d’Arkandias n’ont fait que transposer leur imaginaire de lecteurs à l’écran. Quant à moi, je suis allé voir les films en simple spectateur. Dans l’un des deux cas (je vous laisse deviner lequel), j’ai d’ailleurs cru que je m’étais trompé de salle.

Peut-on croire vos biographies ?

Dans la mesure où elles sont toutes fausses, aucune ne peut être entachée de suspicion. Je crois qu’il faut surtout se méfier des biographies dites « sérieuses »…

La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?

Il y a une dizaine d’années, je me trouvais dans une bibliothèque où je devais rencontrer une classe de quatrième. Les collégiens s’installent et leur professeur de français prend la parole pour me présenter en ces termes : « Nous avons le plaisir de rencontrer aujourd’hui Alain Gousset, l’auteur de La Citadelle du vertige. Comme j’avais lu et aimé le livre d’Alain, je me suis bien gardé de détromper ces jeunes lecteurs, et j’ai répondu à sa place le plus sérieusement du monde. Comme on me demandait, jaquette de quatrième de couverture à l’appui, pourquoi j’avais rasé ma barbe, j’ai répondu qu’elle trempait dans mon bol de vermouth au petit-déjeuner.

Pouvez-vous nous parler de votre dernière trilogie, Les pierres de fumée ?

Cette histoire possède autant de portes d’entrée qu’il y a de pierres de fumée dans les Quatre Terres. Elle est donc très difficile à résumer. On y croise des humains et des roomajads, sortes de lézards humanoïdes hauts de deux mètres, qui s’affrontent dans une lutte sans pitié pour prendre le pouvoir dans deux mondes parallèles séparés par de mystérieux monolithes noirs. Dans ce contexte très sombre, évoluent Liam et Eléa, jumeaux âgés d’une douzaine d’années, tous deux curieux et débrouillards dans leurs domaines respectifs. Liam rencontre un jour un faiseur de miracles aveugle qui le prend sous son aile et l’emmène sur l’île de Porphyria pour lui enseigner un savoir magique ancestral. Quant à Eléa, elle est enlevée par des roomajads et emmenée de l’autre côté des pierres de fumée, auprès de deux humaines aux intentions pour le moins douteuses. Pris dans une guerre dont les enjeux les dépassent, les jumeaux comprendront peu à peu ce que chaque camp attend d’eux.

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Géographie de l’instant, de Sylvain Tesson. J’aime l’érudition de ce grand voyageur dandy, contempteur d’une époque qu’il juge « crétine » (sans qu’on puisse lui donner tout à fait tort). Il y échappe en se cassant la binette dans d’improbables ascensions de chalets suisses, tandis que, solidement encordé, je me contente de traverser les pierres de fumée. »

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